Une culture du viol à la française, Valérie Rey-Robert

« Il existe, dans la plupart des sociétés, des idées reçues, des préjugés au sujet du viol, des violeurs et des violées. Préjugés qui conduisent inexorablement à entretenir une atmosphère où les coupables se sentent victimes et les victimes coupables »1.

Par cette citation, l’autrice définit l’expression « culture du viol », issue de rape culture, introduite dans les années 1970 aux États-Unis. Cette culture présente les violeurs comme des monstres et déplace la responsabilité du viol sur la victime.

Les bases de la culture du viol

Valérie Rey-Robert montre que la majorité de la population n’a pas conscience de ce qu’est un viol ou une agression sexuelle. Ainsi, de nombreux comportements sont banalisés : soulever une jupe ou embrasser sans consentement sont des agressions sexuelles, imposer une fellation constitue un viol. C’est pour cette raison qu’ils sont autant répandus et forgent la culture dans laquelle nous évoluons.

Pour rappel, la définition du viol est la suivante : tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol2. L’agression sexuelle est un acte sexuel, sans pénétration, imposé par une personne à une autre personne. Cette infraction est caractérisée lorsque l’auteur a utilisé des violences, des menaces, une contrainte physique ou psychologique ou a agi par surprise3.

La difficulté à définir le consentement participe aussi à nourrir cette culture du viol.

L’opposition entre les hommes et les femmes

Ces bases sont consolidées par le maintien d’une binarité hommes/femmes. Les rôles genrés, qui imposent la soumission des femmes aux hommes, entretiennent cette culture. Ces rôles sont assignés dès la naissance via l’éducation : les garçons sont considérés comme bagarreurs et encouragés à s’amuser à l’extérieur et à faire des jeux violents et salissants, tandis que les filles doivent être sages et polies. Elles sont valorisées si elles jouent à la poupée ou à la dinette, bien propres et en sécurité à l’intérieur. Même dans les livres pour enfants les personnages féminins sont souvent subalternes.

Tout cela conduit à des « croyances antagonistes » qui ont des effets tout au long de la vie : les femmes seraient manipulatrices et faibles, tandis que les hommes seraient obsédés par le sexe. Les deux deviendraient alors des adversaires sexuels. « Les hommes mentiraient pour obtenir des relations sexuelles, les femmes pour dominer et exploiter — en particulièrement financièrement — un homme ».

Ces oppositions entraînent ce que l’autrice appelle le sexisme ambivalent, composé d’un mélange entre le sexisme bienveillant et le sexisme hostile. Dans le premier, les femmes sont mises sur un piédestal et doivent être protégées, car elles seraient plus faibles que les hommes. Dans le second, elles sont méprisées justement parce qu’elles sont considérées comme inférieures.

Le profil du violeur

Dans l’imaginaire collectif, les violeurs sont des monstres qui agressent les femmes la nuit dans un parking miteux. Ils seraient privés de sexualité et violeraient pour assouvir leurs pulsions. Cette image erronée permet de maintenir les agresseurs à distance et aux hommes de ne jamais s’y identifier. En réalité, l’autrice montre qu’ils agissent de manière préméditée et, la plupart du temps, dans le cadre privé. Contrairement aux idées reçues, les agresseurs ont déjà une sexualité qu’ils trouvent satisfaisante.

Par ailleurs, les viols commis par des étrangers sont instrumentalisés à des fins racistes et ce sont surtout les agresseurs issus des classes populaires qui sont condamnés. Pourtant, les violeurs sont de toutes les origines et viennent de tous les milieux sociaux. Les plus aisés s’en sortent en s’entraidant et échappent à la justice grâce à leur patrimoine.

Le profil de la victime

Dans la culture du viol, la faute est remise sur la victime. Pour espérer se faire entendre, cette dernière doit donc être « parfaite ». C’est-à-dire être une femme cis-hétéro, blanche, qui a une vie sexuelle « respectable » et qui pleure en évoquant son traumatisme. Au contraire, les personnes suivantes sont moins susceptibles d’êtres cru·e·s si iels rapportent un viol :

  • dans la culture du viol et de l’homophobie ambiante, les hommes ne peuvent pas se faire violer,
  • les travailleuses du sexe seraient, de par leur métier, toujours consentantes,
  • dans le cadre du mariage, l’épouse ne pourrait pas se faire violer par son mari à cause du « devoir conjugal »,
  • la victime ne devrait être ni « laide », car on considérerait que l’agresseur lui fait une fleur, ni « belle », car elle aurait cherché son agression (il n’y a pourtant aucun lien entre l’apparence physique, les vêtements et le viol).

De plus, si jamais les victimes n’ont pas eu la bonne réaction face à leur agression, par exemple qu’elles ne se sont pas défendues, débattues (alors même que de nombreuses analyses ont confirmé que les victimes subissent souvent une paralysie involontaire), et restent de marbre en racontant leur traumatisme, alors elles sont davantage décrédibilisées.

Les plaintes pour viol

Toutes ces attentes de la société et ces clichés incitent les femmes victimes à rester silencieuses. Dans la culture du viol, tout le processus pour porter plainte est aussi entravé.

Tout d’abord, comme le montre Valérie Rey-Robert, les agresseurs mettent en place des stratégies pour empêcher les victimes de parler en les isolant et en leur faisant peur. Contrairement à ce qui est couramment admis, les violeurs agissent très peu de manière compulsive. Ils préméditent leur crime, notamment en accroissant la vulnérabilité de leur victime ; l’alcool est par exemple souvent utilisé.

Ensuite, lorsque les femmes parviennent à dénoncer l’agresseur, elles se retrouvent face au personnel de la police et de la justice qui n’est pas épargné par les idées reçues et les préjugés sur le viol. Les formations pour y faire face sont rares.

Les journalistes traitent les viols comme des faits divers ou encore emploient le champ lexical du monstre pour désigner les coupables. En ajoutant des éléments graveleux, érotiques ou humoristiques, ils entretiennent la confusion entre sexualité et violence sexuelle. Les situations rares comme l’agression de la joggeuse dans la forêt font les gros titres tandis que l’inceste et les viols commis dans le cercle proche, les plus courants, passent sous silence.

Enfin, il existe l’idée que les « vrais hommes ne violent pas ». Dans les films ou les livres, pour mettre en colère un homme et le blesser, l’antagoniste viole une femme dont il est proche. Les héros ne violent pas, mais leur masculinité est consolidée par cet acte, puisqu’ils se présentent en vengeur et en opposition au « monstre ». De même, les hommes dans la réalité ne tarissent pas d’insultes contre les agresseurs. Ce qui renforce l’atmosphère de violence autour des femmes.

Ces préjugés empêchent les victimes de porter plainte si le viol vécu ne correspond pas à l’idée préconçue que la société s’en fait. Elles ont peur qu’on ne les croie pas. À l’inverse, les hommes ne prennent souvent pas le viol au sérieux.

Un problème de communication ?

En tant que société, nous justifions la culture du viol par un problème de communication entre les hommes et les femmes (les hommes viendraient de Mars et les femmes de Vénus…). Cette théorie excuse beaucoup de violences sexistes et sexuelles, exigeant des femmes qu’elles fassent des efforts pour comprendre les « pulsions » des hommes. Pourtant Valérie Rey-Robert montre que les hommes comprennent très bien les refus, mais qu’ils ne les aiment tout simplement pas.

La France, nation de la séduction

Si la culture du viol est présente dans tous les pays, l’autrice précise qu’il en existe une spécifiquement française. À l’international, la France est connue pour être la nation du romantisme, de la galanterie et de la séduction. On y respecterait donc forcément les femmes. Pourtant la langue française est chargée d’expressions violentes pour décrire les relations sexuelles : tirer, défoncer, foutre… Le vocabulaire de la chasse est employé pour parler de drague, la femme étant l’animal à abattre. Elle est d’ailleurs systématiquement montrée comme passive et le non-consentement est considéré comme excitant.

Quelles solutions ?

Pour faire disparaître cette culture du viol, il faudrait repenser l’espace public pour rendre les femmes plus à l’aise, mais aussi travailler sur l’éducation genrée. Les médias et la production culturelle devraient être reconsidérés. Enfin, il faudrait déconstruire la domination masculine, éduquer les hommes à ne pas violer tout en impliquant les pouvoirs publics.

Il est difficile de résumer un ouvrage aussi complexe que celui-ci, mais en guise de conclusion, citons une dernière fois les propos de l’autrice :

« La sexualité ne saurait-elle passer par un autre biais que d’imposer ses volontés, ses désirs à l’autre ? La sexualité serait-elle forcément un rapport de pouvoir où l’excitation et le désir ne naitraient qu’en dominant l’autre ? Serions-nous si peu imaginatifs, si conservateurs, si timorés que la perspective d’imaginer une autre sexualité où chacun et chacune puisse exprimer ses désirs et ses non-désirs nous terrifie ? »

Quelles sont vos recommandations ? Quelle revue de livre devrions-nous faire prochainement ? Donnez-nous votre avis en commentaire !


  1. Valérie Rey-Robert, Une culture du viol à la française, Montreuil, Libertalia, 2020. ↩︎
  2. Article 222-23 du code pénal, URL : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000043409028/2021-04-23 ↩︎
  3. Agression sexuelle commise sur une personne majeure, Service public, 10/08/23, URL : https://www.service-public.gouv.fr/particuliers/vosdroits/F33891 ↩︎

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