Gender Tech de Laura Tripaldi

« Entre biologie et société, entre nature et culture, il existe une vaste zone de frontière : un espace où la séparation entre le genre comme construction culturelle et le sexe comme donnée biologique est profondément incertaine »1.

Dans son ouvrage Gender Tech publié en 2024, Laura Tripaldi questionne le rapport entre genre et technologie à travers les techniques qui agissent sur le corps des femmes : spéculum, contraception, échographie et application de suivi du cycle menstruel.

Hystérie et photographie

Dans une première partie, l’autrice montre que les scientifiques de la Belle Époque se servent de la photographie pour tenter de découvrir les « secrets » du corps féminin en capturant les « hystériques2 » sous tous les angles. Elles sont ainsi mitraillées, parfois lors de séances de tortures, afin de mieux comprendre cette « maladie ». La photographie, naissante à l’époque, est utilisée pour soumettre le corps des femmes au savoir scientifique.

Les origines racistes du spéculum

Dans ce second chapitre, Laura Tripaldi raconte l’histoire du spéculum. Élaboré au XIXe siècle aux États-Unis par le docteur Sims, père de la gynécologie moderne, il est le fruit d’expérimentations inhumaines perpétrées sur des esclaves noires. L’objectif ? Sonder leur intimité. L’autrice cite la philosophe Luce Irigaray3 qui « fait de cet outil gynécologique la métaphore et l’incarnation de l’obsession du regard patriarcal : pénétrer et dominer l’intérieur du corps féminin ».

Pilule miracle ?

La pilule contraceptive est développée aux États-Unis dans les années 1950. L’autrice de Gender Tech explique que cette dernière permet d’« équilibrer » les femmes en maîtrisant non seulement leur fertilité, mais aussi leurs cycles, leurs hormones et leurs humeurs. La pilule serait donc une substance miracle. Au-delà du contrôle de possibles grossesses, elle résoudrait tous les problèmes féminins tant au niveau gynécologique, qu’esthétique, psychologique ou même social. Pour Laura Tripaldi, cette contraception et son usage presque magique reflètent une culture paternaliste et infantilisante.

Test de grossesse et émancipation

Le test de grossesse à réaliser soi-même, que l’on doit à la designeuse Margaret Crane, est commercialisé en 1977. Cette révolution amène deux émancipations : celle de la technologie qui sort des laboratoires et n’a plus besoin d’experts pour être maitrisée et celle de la femme qui se libère de la tutelle de la médecine traditionnelle pour connaître son état. À l’époque, le corps médical doutait que les femmes arrivaient à s’en servir seules…

« Le contrôle patriarcal de la reproduction repose en premier lieu sur un contrôle des moyens de production du savoir : il ne survit qu’à condition que les réseaux technologiques qui le soutiennent restent aussi inaccessibles et cachés que possible ».

Invisibiliser le corps des femmes

En couverture du magazine Life de 1965, les lecteurs ont pu découvrir la première photo d’un fœtus vivant, réalisée par Lennart Nilsson et baptisée fœtus 18. Cette image, célébrant le « miracle de la vie », fait le tour du monde. Pourtant, le corps de la femme y est complètement invisibilisé, tout comme les conditions dans lesquelles le cliché a été pris. Il s’agit en fait d’un fœtus avorté, photographié quelques minutes après avoir été extrait du ventre de sa mère. L’échographie, utilisée dès 1955 pour scruter l’anatomie humaine, emprunte le même chemin. Dans le suivi des grossesses, les médecins font abstraction du corps féminin, l’embryon est considéré comme un être indépendant. D’après Laura Tripaldi, cette technologie impose aux femmes une surveillance constante. La photo fœtus 18 et les échographies, ont été, et sont toujours, le support de campagnes anti-avortement. Dans certains pays, aux États-Unis, en Italie ou en Hongrie, celles qui souhaitent avorter doivent se soumettre à une échographie, pendant laquelle on leur fait écouter les battements de cœur du fœtus.

Le fuite de données des femtech

Nous sommes de plus en plus à utiliser des applications de suivi menstruel. Mais comme dit l’adage : « si c’est gratuit, c’est toi le produit ». Les informations récupérées par ces applications auprès de milliers de femmes représentent une mine d’or. Les données pourraient être, et sont sûrement déjà, vendues pour faire de la publicité ciblée, en fonction du cycle menstruel par exemple. L’autrice souligne que la femtech (contraction de femme et technologie) pourrait jouer un rôle ambigu dans un climat politique où l’accès à l’avortement et à la contraception est constamment menacé. Aux États-Unis, après l’abrogation de l’arrêt Roe v. Wade, qui accordait aux femmes le droit à l’avortement sur tout le territoire, certaines craignaient que leur application de suivi ne partage des informations confidentielles. Ces données pourraient ainsi témoigner de grossesses non désirées ou d’avortements.

Si l’on pensait que la technologie serait libératrice, Laura Tripaldi montre dans son essai, qu’elle est finalement soumise à la structure sociétale et à toutes les oppressions qu’elle véhicule.

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  1. Laura Tripaldi, Gender Tech, Montréal, Lux Editeur, 2024. ↩︎
  2. Le mot est utilisé tel quel dans le livre, mais nous ne cautionnons pas son usage. ↩︎
  3. Luce Irigaray, Spéculum. De l’autre femme, Minuit, 1974. ↩︎

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